Série-Choc: Les Québécois peuvent-ils être un danger pour les droits des femmes? Partie 1

Cabine téléphonique d'où une femme a contacté les policiers, à Québec, le 3 novembre 2014, suite à une agression. Crédit photo: David-Maxime Samson

Alors que certains partis politiques au Québec sont tentés par des politiques qui obligeraient les immigrant(e)s à se soumettre à des valeurs précises, tel l’égalité homme-femme, parlant même, dans certains cas, de renvoyer dans leurs pays d’origine ceux et celles qui ne se soumettraient pas à ces valeurs, nous nous sommes posés la question si, actuellement, tous les Québécois(e)s né(e)s ici adhéraient réellement à la valeur de l’égalité homme-femme. Concrètement, nous nous sommes intéressé à la résistance devant les revendications des femmes et des féministes, ces dernières décennies, par les Québécois eux-mêmes. Nous avons également pris le pouls de la résistance qui se poursuit et qui menace encore les droits des femmes au Québec. L’une de ces résistances est le masculinisme, sujet que nous avons abordé avec Mélissa Blais, qui connaît très bien le sujet. En effet, celle-ci est doctorante en sociologie, à l’UQAM, et professionnelle de recherche à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF). Elle a également publié les livres «J’haïs les féministes! : Le 6 décembre 1989 et ses suites» (Remue-ménage, 2009) et «Le mouvement masculiniste au Québec: L’antiféminisme démasqué» (Remue-ménage, 2008). Nous l’avons rencontré alors qu’un groupe de féministes faisait connaître, il y a un peu plus de deux semaines, leurs inquiétudes face aux propos sexistes et haineux qu’elles recevaient, notamment sur les réseaux sociaux.

 

Veuillez noter qu’en contexte d’austérité qui affectera particulièrement les femmes, le thème aurait également pu être abordé, cependant, nous avons ici volontairement écarté ce sujet, afin de parler d’autres menaces pour les droits des femmes, qui sont moins connues ou discutées sur la place publique. Nous publions ici le premier volet de l’interview. Le reste sera publié demain.

 

(Partie 1)

Qu’est-ce que le masculinisme et est-ce qu’il y a de cela au Québec?

 

Le masculinisme est une forme d’anti-féminisme, mais ce phénomène existe sous d’autres formes aussi que le masculinisme. Ainsi, on trouve l’anti-féminisme conservateur religieux, qui va s’appuyer sur une vision hiérarchique des sociétés, structurées autour d’un passé idéalisé. Pour le dire simplement, selon les antiféministes religieux/conservateurs, Dieu (peu importe son nom) aurait créé une hiérarchie des rôles féminin et masculin (il y a un travail de femme et un travail d’homme). Y contrevenir équivaut à contrevenir à un ordre divin; les féministes sont donc accusées de s’opposer à la volonté de Dieu. Le gouvernement Conservateur, au Canada, en est un bon exemple. Il s’appuie notamment sur des valeurs traditionnelles. Quand on le voit défendre les droits des femmes, ce n’est pas au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes, mais plutôt au nom de la « protection » des femmes qui sont perçues comme des être fragiles à qui l’on doit protection. Nous sommes bien loin des revendications féministes. Les anti-choix (ceux qui sont contre l’avortement) s’appuient sur cette vision religieuse conservatrice des rapports hommes-femmes : pour eux, une femme ce n’est qu’une mère et une mère doit donner la vie. Encore une fois, pour eux, on ne peut revendiquer le choix, pour les femmes, de décider si oui ou non elles auront des enfants sans contrevenir à une quelconque volonté divine ou à une quelconque « Nature ». Comme toutes les formes d’antiféminisme, les anti-choix vont imiter des stratégies et des tactiques du mouvement féministe, dont celui sur le planning des naissances. Une recherche menée récemment sous la direction de la professeure Audrey Gonin, en collaboration avec la Fédération du Québec pour le Planning des Naissances (FQPN), fait la démonstration des stratégies de centres anti-choix qui tentent de dissuader les femmes d’avorter. Tout en imitant les centres pro-choix qui accompagnent les femmes dans leur décision lorsqu’elles font face à une grossesse imprévue, ces centres pervertissent le projet féministe initial et contreviennent à l’éthique de l’intervention féministe en tentant de dissuader les femmes qui pensent à l’avortement (alors que l’intervention féministe tente de donner les informations adéquates aux femmes et les soutiennent dans leur décision sur la poursuite ou non de la grossesse).

 

Le masculinisme est également une forme d’antiféminisme, qui a émergé dans les années 89-90. Bien qu’il y ait plusieurs groupes, la plupart des organisations ont tenté d’imiter les groupes féministes des années 70, en copiant leur modèle organisationnel (modèle de non-mixité, où on cherchait à créer un savoir neuf, à partir de la concertation entre femmes) et en récupérant le vocable utilisé par les groupes féministes. Par exemple, les mots comme patriarcat  deviennent  «matriarcat», on parle de victimes mais pour parler des hommes victimes, etc. On inverse aussi les rapports de pouvoir. Pour eux, maintenant, les sociétés sont dominées par les femmes. Certains vont s’organiser en groupe de conscience masculin. Certains de ces hommes ont d’abord été pro-féministes, ont créé des organisations non-mixtes, et, tandis que certains quittaient ces organisations en les accusant d’être masculinistes, d’autres ont élaboré un discours sur la victimisation des hommes. Selon ces pro-féministes convertis à l’antiféminisme, les hommes sont soit victimes de leur masculinité, ou encore victimes des femmes et des féministes qui contrôleraient la société. Selon eux, les hommes seraient en perte de repères.

 

Le masculinisme émerge au moment où des mesures législatives sont prises pour aider les femmes, notamment les mères en situation de séparation. Je pense, par exemple, aux mesures permettant la  perception automatique des pensions alimentaires. Suite à des études qui disaient que les hommes étaient plus assidus dans leurs paiements de voiture que dans les paiements de leurs pensions alimentaires, on s’est assuré que l’argent dû aux enfants leur serait versé. Des hommes se sont alors regroupés pour éviter de payer leur pension alimentaire. Selon les études, ce sont des hommes blancs, hétérosexuels, de la classe moyenne, qui se sont mis ensemble pour mettre de l’avant des revendications pour leurs propres intérêts.

 

C’est donc au cours des années 90 que le Québec, voire le Canada, connaît une explosion de collectifs de pères en colère, dont certains suggèrent aux hommes de ne pas payer leurs pensions alimentaires (notamment en leur proposant de s’inscrire au programme d’aide sociale afin de ne pas payer leur pension). Des études récentes sont venues confirmer que le principal objet de litige en cour n’est pas pour l’octroi de la garde des enfants, mais plutôt pour ne pas avoir à payer de pensions alimentaires. Dans le cas de certains groupes de pères, revendiquer la garde partagée systématique, prend la forme d’une tactique visant à ne pas payer de pension alimentaire. Ces pères ne revendiquent pas leur responsabilité en tant que parent, mais plutôt leur droit sur leur enfant; leur droit de pouvoir se décharger de toutes responsabilités sur le dos d’une autre femme (leur mère, leur ex-conjointe ou leur nouvelle conjointe), sans avoir à débourser.

 

En 2005, il y a eu des coups d’éclats de certaines organisations, chose qui a attiré les médias, même si, dans les faits, on parle de groupes composés de quelques hommes seulement. Cette visibilité a attiré la sympathie populaire, car – comment dire – les gens ne sont pas contre la vertu : des pères qui cherchent à convaincre que leur seul but est de s’occuper de leurs enfants, personnes n’est contre ! Plusieurs journalistes ont été convaincus et croyaient qu’il s’agissait de victimes lésées. Or, en analysant le contenu de leur discours, on se rend compte du caractère antiféministe de leur actions, voire de leur intention implicite ou non de maintenir ou de renforcer les privilèges masculins..

 

Quand certains groupes, disons plus agressifs, plus virulents, ont commencé à se faire voir dans les années 2005-2006, ils ont aussi commencé à attaquer les maisons d’hébergement et des centres de femmes. J’ai documenté ces attaques et je peux ici en faire une liste non-exhaustive: tentative d’entrées par effraction, graffitis sur des maisons ou organisations qu’ils ont identifiés comme étant féministes, poursuite, plaintes à la Commission des droits de la personne, plaintes au CRTC, à l’ombudsman de Radio-Canada, bousculades et perturbations d’événements féministes, etc.

 

Certains de ces « pères en colère » ont été reconnus coupable de violence sur leur ex conjointe. Ces informations nous permettent d’interroger la recherche de contrôle qui motive certains militants.  Actuellement, les plus agressifs font rage sur les réseaux sociaux. Parfois, ce sont les mêmes qui étaient actifs en 2005-2006, et d’autres fois, ce sont leurs émules qui véhiculent un discours haineux contre les féministes. Parfois, on s’en prend aux femmes que l’on juge féministes (parfois sans qu’elles ne le soient), car pour eux, une femme qui prend la parole dans l’espace public, c’est une femme coupable de ne pas être à sa place. Internet est un espace où les femmes se font cyber-attaquer . Ces violences antiféministes carburent à la misogynie, ainsi qu’à la lesbophobie, la transphobie et au racisme. J’ai été troublée de lire qu’on souhaitait la mort d’une femme trans, qu’on accusait de « sale lesbienne frustrée» une autre femme féministe, quand on n’exige pas tout simplement des femmes musulmanes qu’elles «retournent chez les talibans » .

 

(Suite de l’interview demain)

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