Série-choc: Les Québécois peuvent-ils être un danger pour les droits des femmes? Partie 2

Crédit photo: Samer Beyhum. Femmes de diverses origines, ensemble, lors du Festival Orientalys, place Jacques-Cartier, Montréal, août 2014.

 

 

Suite de l’interview avec Mme Mélissa Blais. Celle-ci est doctorante en sociologie, à l’UQAM, et professionnelle de recherche à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF). Nous terminons sur le sujet du masculinisme que nous avons commencé hier et nous aborderons la question des droits des femmes face à l’extrême-droite, de manière générale.

 

Pour consulter la partie 1, voici le lien:   http://www.99media.org/serie-choc-les-quebecois-peuvent-ils-etre-une-menace-pour-legalite-homme-femme/

 

 

Mme Blais : Depuis 4 ou 5 ans environ, de plus en plus d’intellectuels et de chercheurs, élaborant un discours en apparence plus nuancé se sont fait une place dans le milieu de la recherche et de certains ministères qui les consultent à titre d’experts de « drames » familiaux (le terme qui remplace actuellement celui de violence conjugale), ou de la parentalité. Ces hommes attirent l’attention sur la souffrance des hommes, et la souffrance, c’est quelque chose dont on doit s’occuper, on est bien d’accord sur ce point. Par contre, là ou c’est problématique, c’est qu’en prétendant que les problèmes de décrochage scolaire et de suicide sont des problèmes masculins, on masque non seulement les problèmes de décrochage et de suicide chez les femmes, mais on passe aussi à côté d’une analyse de la pauvreté comme facteur de risque par rapport au décrochage scolaire. Il faudrait également parler de colonialisme et de ses effets pour mieux prévenir le suicide, car les autochtones sont plus à risque que les allochtones d’attenter à leur vie. Les femmes sont également plus nombreuses à tenter de se suicider, et les jeunes hommes gais et bisexuels forment la catégorie la plus à risque. Bref, pour expliquer ces problèmes sociaux, il faut regarder du côté des rapports de domination, puisque cela nous permet de mieux en analyser les causes. Regardons en quoi le racisme, la pauvreté, le colonialisme et la contrainte à l’hétérosexualité ont des effets sur les humains qui les subissent et arrêtons de parler de « féminisation » de la société comme d’une source de décrochage scolaire et de suicide chez les hommes. Prétendre à la féminisation de la société ou affirmer que les hommes sont en perte de repères, c’est dire du même souffle que l’égalité est atteinte ou que les femmes dominent. Ce n’est pas à cause des femmes et des féministes que des hommes autochtones commettent des suicides, mais bien parce que – nous les Blancs – avons colonisé-e-s leur territoire.

 

On entend beaucoup, ces temps-ci, le mot «extrême-droite» et certaines craintes se manifestent par rapport aux droits des femmes et cette idéologie politique. Qu’en pensez-vous?

 

La lecture gauche-droite pour penser l’anti-féminisme n’est pas du tout pertinente. L’anti-féminisme se retrouve à gauche, tout comme il est aussi de droite. Ce sont des hommes, qui entrent eux, s’entendent pour défendre des privilèges masculins, privilège d’hommes blancs hétérosexuels de classe moyenne. Le masculinisme est présent dans les organisations syndicales, et dans les groupes plus à droite sur l’échiquier politique. Y a des femmes syndicalistes qui en ont soupé de ce masculinisme, dans leurs organisations et qui en font actuellement un enjeu. Elles doivent militer contre ce masculinisme qui freine les revendications des femmes dans les instances syndicales. Y a aussi des gars de la gauche politique, sur les réseaux sociaux, qui tournent les coins ronds pas mal, même s’ils disent qu’ils ont étudié en études féministes.

 

Pour ce qui est de l’extrême-droite, comme tel, on parle d’attaques beaucoup plus frontales, avec des valeurs traditionnelles, mais il faut savoir que le racisme est malheureusement aussi présent chez des militants de gauche. Des masculinistes vont arrimer leur antiféminisme au racisme. Certains disent que les féministes vont «pervertir» les nouvelles arrivantes. Ainsi les féministes sont, selon eux, nécessairement blanches et de vieille origine européenne, tandis que la figure de l’immigrante est celle d’une femme nécessairement non-féministe et originaire du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne, par exemple. En arrivant au Québec, ces femmes immigrantes non-féministes coureraient le risquent de devenir féministes ou d’imiter les femmes blanches dans tout ce qu’elles auraient commis comme excès, dont cette prétendue possibilité, pour les femmes, de porter plainte pour violence pour tout et n’importe quoi.

 

Il y a une analyse très paternaliste à l’endroit des femmes migrantes car on les imagine comme des femmes dominées. Certains masculinistes sont à ce point convaincus de l’existence de cette opposition orientaliste « femmes-dominantes-Occident» versus «femmes-dominées-Orient» , qu’ils disent ne pas pouvoir entretenir de relation avec une femme d’origine française, par exemple, car les françaises voudraient uniquement se servir des hommes pour, notamment, obtenir des ressources matérielles. En lisant ces discours antiféministes et racistes, on perçoit rapidement leurs intentions de maintenir la domination d’homme blanc hétérosexuel, de perpétrer la loi du père, du mari.

 

Finalement, qu’il soit de droite ou de gauche, des masculinistes accusent les femmes nord-américaines, ou européennes, d’être trop masculines. Ces femmes blanches seraient le produit d’un féminisme lesbien castrateur et dominant qui rêve de transformer les femmes en hommes. Il faudrait nuire le plus possible au féminisme et pour ce faire, tout les moyens sont bons : propos lesbophobes, racistes, etc. Il y a là des éléments racistes et lesbophobes, qui peuvent rejoindre l’extrême-droite dans ces fondements idéologiques, sans pour autant s’y limiter..

 

Un très grand merci à Mme Mélissa Blais!

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Journaliste indépendante