Série-choc: suite de ”La religion, même conception pour tous?”

Crédit photo: Valérie Baise-Magni. Photo de la cathédrale de Notre-Dame-de-Rouen, France, 15 mars 2015.

La religion, même conception pour tous?

Crois-tu que la manière d’apporter les choses en lien avec la religion ou la laicité est problématique au Québec dans les médias et si oui, pourquoi?

S’il y a quelque chose de problématique, pour moi, dans la manière de traiter «la religion» et la laïcité dans les médias, ce n’est pas une confusion dans les notions, je le répète, ce sont plutôt les hiérarchisations ou les postures de pouvoir implicites qui logent dans les discours et les définitions. Quand on dit qu’un document législatif assurera une égalité entre les hommes et les femmes, par exemple, non seulement on postule qu’il y a un problème à ce niveau chez ceux qui portent des symboles religieux (ce qui n’est pas impossible!) mais on prend en charge ce problème sans même avoir entendu ce que les gens visés pensent de la question. Le discours cherche à produire une vérité, et une fois cette vérité relativement bien reconnue parce qu’on la martèle via les discours scientifiques et médiatiques, on peut agir. Dans le même sens, donc, le terme «religion» est devenu une sorte de prison conceptuelle puisqu’il y a tout un régime de vérité qui l’entoure. On enferme bien de gens dans cette prison discursive. En les taxant d’être «religieux», avant toute autre chose qui pourrait également les définir, on les taxe de tous les sous-entendus qui logent dans le concept, dans une perception moderne: superstitieux, irrationnels, potentiellement violents, passionnés, etc. Il existe aujourd’hui une littérature postcoloniale qui tâche de se départir de la notion de «religion», arguant qu’elle n’est pas traductible et qu’elle a été imposée au reste du monde non-chrétien, pour du même coup se départir des discours de pouvoir qui y logent. Chez les Sikhs, je connais notamment un chercheur qui, s’adressant à ses confrères et consœurs sikh(e)s, suggère qu’il faut tâcher de retourner à des notions issues de la période pré-coloniale pour éviter de reconduire tout le schéma de pensée qui en hérite. C’est assez intéressant. Par exemple, pour lui, chaque fois qu’un(e) Sikh(e) se met en récit en disant « j’appartiens au Sikhisme, religion monothéiste, et nous croyons en telle et telle chose», il ou elle reconduit un schéma moderne de la compréhension du Sikhisme. Le chercheur en question, dans ses écrits, se consacre donc à questionner ce schéma qui hérite d’une compréhension moderne, pour ne pas dire chrétienne, de la religion. Il ne s’agit pas ici de dire que tout le monde doit fondamentalement avoir le droit de faire ce qu’il veut, puisque ce n’est pas comme ça qu’on construit un projet collectif, mais qu’il faut à tout le moins tâcher de se défaire des pouvoirs et des hiérarchies qui circulent par le langage et les discours sur «la religion». Si je peux donner une comparaison, pensez à l’expression très utilisée de « communautés culturelles» dans la grammaire sociale et administrative québécoise. Qu’est-ce que cela sous-entend? Que certaines communautés logent dans des «cultures» (donc des particularismes) et que ceux qui n’y appartiennent pas logent en quelque sorte dans l’a-culturel, dans l’universel. C’est exactement le même phénomène de classification langagière qu’avec «religion». On ne le réalise pas, mais c’est là. La notion de laïcité contribue souvent à reconduire la caricature faite de «la religion», et c’est donc plusieurs groupes ou individus qui sont dès lors emprisonnés discursivement. Le pouvoir ne leur laisse que peu de place pour exprimer un contre-discours, d’autant plus que la machine à produire des vérités est assez bien huilée. Malheureusement, l’un des seuls espaces disponibles, c’est le système de justice libéral, et je ne suis pas particulièrement enthousiaste par rapport à lui.

Quand tu entends quelqu’un dire qu’un(e) immigrant(e) doit renoncer à sa religion, puisqu’il ou elle vient vivre ici, tu en penses quoi?

Demander à un Sikh ou un musulman de renoncer à «sa religion», ou à tout le moins de la laisser chez lui ou chez-elle, c’est donc de présumer que la religion doit loger dans le privé seulement, c’est de présumer que cette personne agit sur des bases irrationnelles, etc. Comme j’ai essayé de le démontrer brièvement, ces présupposés sont historiquement constitués et c’est précisément en les historicisant, en leur enlevant toute prétention de vérité fondamentale, qu’on peut les critiquer. Tant et aussi longtemps que nous ne procédons pas sérieusement à un travail de déconstruction des implicites hiérarchiques qui logent dans certains concepts qui courent au quotidien, il sera bien difficile de mettre un frein à ce type de propos. Je suis de ceux qui croient qu’il ne faut pas taxer les gens d’ignorance, et malheureusement je trouve que c’est un discours qui circule trop chez les gens qui se disent «ouverts» ou «inclusifs». D’ici là je partage l’idée de plusieurs qu’il faut tâcher de dialoguer à l’extérieur des cours de justice et à l’extérieur des grands canaux de communication, puisque les régimes de vérités sont façonnés et produits ces institutions. Un exemple. Il m’arrive d’accompagner des cégepiens dans un temple Sikh pour des visites. Ces jeunes arrivent avec des idées en têtes, idées qui leur proviennent des grands discours qui courent dans le social, assurément. Dans ces visites, on réserve toujours une période de questions pour que les jeunes puissent mettre en mots leurs présupposés et qu’ils puissent avoir un retour sur ceux-ci. Presqu’à chaque fois, les jeunes ressortent de là particulièrement enthousiastes, surpris, étonnés. Je ne veux pas dire par là que tout le monde est soudainement sur la même page, c’est impensable, mais c’est fascinant le bout de chemin que les deux partis font en si peu de temps et par une simple conversation. Après, ces jeunes peuvent en discuter avec leurs familles, leurs amis, et de fil en aiguille ça fait son chemin. Il faut modifier les régimes de vérité, donc, et favoriser la communication en dehors des grands canaux de communications conventionnels. C’est mon opinion bien-sûr.

Un très grand merci à Marc-André!

 

 

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Journaliste indépendante