Les effets dévastateurs des mesures de «recouvrement»

«Ce qu’on fait, c’est donner un coup de barre alors que le bateau allait à la dérive. C’est certain que le redressement fait des vagues, ce qui peut donner parfois le mal de mer à ceux qui naviguent à courte vue.»Martin Coiteux, président du Conseil du trésor

Quand j’ai lu l’analogie maritime de M. Coiteux, la première image qui m’est venue à l’esprit est celle d’un navire de croisière de grand luxe, de type Queen Elizabeth II, rempli de gens d’affaires, de PDG, de politiciens, de banquiers et d’autres personnes riches, qui lanceraient tous les membres d’équipage par-dessus bord, dans un océan très turbulent, s’attendant à ce que ceux-ci donnent une poussée au navire…puis traitant les membres jetés à l’eau d’ingrats «à courte vue et au mal de mer» quand ils se noieraient. Je me suis alors demandé ce que feraient ces voyageurs en mer lorsque ce navire luxueux imaginaire n’aurait plus d’équipage. Comment décideraient-ils lesquels d’entre eux seraient jetés par-dessus bord en premier?

Il semble que M. Coiteux préfère jouer avec les mots en appelant les mesures d’austérité par un autre nom: des mesures de «recouvrement». Mais un «recouvrement» de quoi au juste? Ça reste toujours à déterminer, parce que je ne pense pas qu’il voulait dire le «recouvrement» du bien-être social et culturel québécois. Pas quand, quelques jours après que le président du Conseil du trésor eut dit ces mots, le ministre de l’Éducation du Québec, Yves Bolduc, annonce des mesures augmentant la charge de travail des professeurs du système public, sans augmentation de salaire et avec une réduction de l’assistance envers les étudiants qui ont des besoins particuliers.

Il n’y a pas longtemps, pendant les élections provinciales de 2014, j’ai eu une longue conversation avec un militant du PLQ (Parti libéral du Québec), qui tentait de me convaincre que le PLQ était meilleur que le PQ (Parti québécois), considérant ce dernier comme une entité politique discriminatoire. Je ne voulais certainement pas militer en faveur de la vertu (ou du manque de celle-ci) du PQ et de leur Charte des valeurs québécoises, un projet mal conçu et qui, à mon sens, est définitivement un morceau de législation discriminatoire. Cependant, j’ai soutenu que le PLQ n’est pas si différent du PQ. La discrimination envers certaines minorités culturelles ou envers certaines minorités sociales reste tout de même de la discrimination, couverte par des mots différents.

Il est possible que M. Coiteux croit réellement que renommer les mesures discriminatoires prises par l’administration Couillard du «recouvrement» change le fait qu’elles sont effectivement des mesures discriminatoires d’austérité. Ce que je peux supposer de ces jeux avec des mots vidés de sens, c’est que M. Coiteux reçoit probablement des conseils de quelques «spécialistes en relations publiques» dont l’expérience du monde et de la vie est aussi biaisée que celle du «spécialiste en relations publiques» qui conseillait probablement le PQ quand il a sorti sa loi ridicule qui l’a mené à sa perte.

Le malheureux militant du PLQ a déclaré avec audace qu’il supportait la hausse des frais de scolarité décrétée en 2012 par le gouvernement Charest et qui a mené à six mois de manifestations étudiantes de jour et de nuit. Quand j’ai dit que ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre une hausse des frais et que la voie vers le succès économique du Québec passe par une éducation solide, il a répliqué en disant qu’il y a des «prêts» pour les étudiants pauvres et que l’éducation gratuite n’est pas un droit humain fondamental. Pour sa défense, il était au moins d’accord que l’éducation est la fondation d’une future économie solide, mais sa réponse m’amena à me questionner sur les contradictions dans son idée que le PLQ n’est pas aussi discriminatoire que le PQ.

L’éducation est la base de toute société. L’éducation est aussi un droit humain fondamental, tel que stipulé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 26), dont les nombreux signataires, depuis sa création en 1948, incluent le Canada. Le droit à des conditions de travail et de salaire favorables est aussi un droit consacré par la même charte (article 23), de même que le droit, sans aucune distinction, à être libre de toute discrimination (article 2). Par une seule déclaration du ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, les mesures de «recouvrement» du gouvernement Couillard violent non pas un, mais au moins trois droits humains fondamentaux.

Violation du droit à une éducation gratuite et appropriée: en coupant les fonds aux écoles publiques, le ministre de l’Éducation impose la détérioration de ce système, réduisant les ressources disponibles. Cela mène à la division des citoyens en deux classes: ceux qui peuvent se payer une éducation privée et ceux qui ne peuvent pas. Ceux qui ne peuvent pas se permettre une éducation privée sont pris dans un cycle de pauvreté alors que leur accès à des emplois dignes et payants est inversement proportionnel à la pression exercée sur l’économie, conséquence directe des inégalités économiques (texte en anglais).

Violation du droit à des conditions d’emploi et de rémunération favorables: il y a d’abord la projection de l’effet futur de cette violation: la création d’une classe de citoyens peu éduqués, qui auront de la difficulté à trouver de meilleurs emplois en grandissant. Il y a ensuite, plus immédiatement, l’augmentation du nombre d’heures imposées aux professeurs, qui travaillent déjà beaucoup plus que les 37 heures, avec des heures supplémentaires non payées. Augmenter les heures et la charge de travail des professeurs sans augmenter leur salaire déjà maigre est un acte répréhensible et contribue également à la création d’une sous-classe de citoyens, ce qui exerce encore plus de pression sur l’économie.

La pire violation de toutes (ce qui ne signifie pas que les autres ne sont pas répréhensibles, simplement que je considère celle-ci encore pire) est la discrimination envers les étudiants aux besoins particuliers: les mesures de «recouvrement» imposées par le ministre de l’Éducation, en coupant le financement aux élèves aux besoins particuliers, va placer plusieurs de ces enfants en situation de désavantage qui les privera donc de sécurité sociale et économique. Je dis cela en tant que personne qui a des difficultés d’apprentissage et qui a réussi à compléter un baccalauréat. Je sais, par expérience personnelle, à quel point la vie peut être difficile pour une personne avec de telles difficultés. Je sais aussi, de la même manière, que ne pas avoir les bons supports peut être catastrophique pour quelqu’un souffrant de problèmes semblables. J’ai été chanceux, mais je connais d’autres personnes qui n’ont pas eu cette chance, spécifiquement par manque de support approprié. Refuser le support nécessaire aux élèves en difficulté est une forme de discrimination équivalente aux discriminations raciales, ethniques ou de genres, pour en nommer quelques-unes. L’effet des mesures de «recouvrement» du gouvernement Couillard sur les étudiants en difficulté va causer une crise qui va certainement affecter le futur de l’économie. Ces enfants vont grandir sans le support qui leur est nécessaire pour atteindre des conditions favorables d’emploi et de rémunération, ce qui leur niera leur droit à l’intégration sociale et contribuera, encore une fois, aux inégalités économiques, augmentant la pression sur l’économie future. C’est carrément de la discrimination envers les élèves handicapés.

Ainsi, quand le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, parle de la «vision à court terme» de ceux qui s’opposent aux mesures de «recouvrement», je me demande à quand remonte sa dernière visite chez l’optométriste. Et quand un militant du PLQ décrit son parti comme meilleur que le PQ, qu’il décrit comme un pari malfaisant qui fait de la discrimination envers les minorités, je me demande s’il s’est déjà donné la peine de regarder la définition du mot «discrimination» avant de supporter aveuglément les politiques atroces de son propre parti. Et avant qu’Yves Bolduc, ne présente ses mesures de «recouvrement» en éducation, je me demande s’il s’est donné la peine de regarder combien de droits humains lui et le gouvernement Couillard allaient violer.

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1 Comment

  1. Merci pour ce texte posé et sincère. Je pense qu’il faut prendre très au sérieux l’emploi du mot «recouvrement» et s’objecter à ce que le gouvernement considère les services publics comme des entreprises déficitaires. Coiteux a assimilé l’idée que les services publics sont des investissement mal avisé et qu’on doit maintenant en retirer le capital investi (humains compris). Je suis en train de lire le livre qui inspire le gouvernement Couillard : «The Fourth Revolution – The Global Race to Reinvent the State». Je compte en faire un compte-rendu que je partagerai ici. Je comprends déjà que Couillard y trouve la justification de traiter la population demandeuse de services comme un groupe d’intérêts dont le lobbying nuit à la compétitivité de l’État. C’est une triste, très triste élite qui nous gouverne.

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