Manifeste pour une occupation globale

Nous marchons sur les ruines d’une société. Des édifices délabrés surplombent les rues où se bousculent dans l’indifférence et la conformité quantité d’individus abrutis par la tyrannie des publicitaires. Les images mentent. Nos consciences sont lézardées par l’idée selon laquelle le progrès s’observe seulement dans la «technologisation» de nos infrastructures, dans le parachèvement de leur esthétisme ainsi que dans la réalisation optimale des activités économiques qui fondent leur existence. Les imposants bâtiments qui dominent les centres financiers nous soumettent à leurs impératifs et impressionnent par la systématique, élaborée et mystérieuse méthodologie néolibérale qui règne à l’intérieur de leurs murs. Détrompez-vous. Nous nous fracassons sur les ruines d’une société. Les esprits s’échouent sur le récif du capitalisme, se rompent, s’érodent puis s’abîment dans un gouffre sans fond. Le lien qui nous unit tous et toutes se fait de plus en plus ténu. Le fil d’Ariane commun s’épuise et faiblit lentement. Un minotaure s’approche, pas à pas. Son souffle chaud caresse notre peau et ses grognements nous percutent comme une douloureuse et mielleuse rumeur, écoulant goutte à goutte l’énergie qui nous reste mais grâce à laquelle on continue d’avancer, vers l’avenir, la tête haute.

Nous trébuchons sur les ruines d’une société. Cependant, une portion de ces décombres demeure épargnée et défendue par-delà vents et marées par une élite économique puissante qui oppose aux mouvements sociaux une armée corrompue et un service policier brutal. Derrière ses colonnes, ses palissades et ses tours, le capital protège sa richesse sans pitié, cupide. Ceux et celles qui le détiennent reposent sur une fortune qu’il nous est impossible même de concevoir tellement elle dépasse l’entendement et la raison. Tel un dragon qui épie et défie toute personne qui s’efforcerait à s’emparer de son trésor, les riches se terrent dans leur donjon d’ivoire, intouchables et insensibles à la clameur qui monte et qui déstabilise. Une révolution est en marche. Une révolution qui piétine ces ruines et martèle les portes d’ébène de ce donjon. Une révolution qui se munit des pierres qui parsèment le sol et empoussièrent l’air pour combattre un système qui tente tant bien que mal d’inhiber et de réprimer les tensions qui le tenaillent.

Nous marchons sur les ruines d’une société et il est minuit moins une. La nature reprend lentement le dessus sur les vestiges de notre humanité. La guerre, la mort, la pauvreté et la misère tourmentent des existences alors que d’autres se dérobent, se murent, s’emmurent dans leurs écrans illuminés, dans ce monde irréel, cet espace cybernétique. L’esprit de communauté nous quitte, s’évade. Cet esprit, cet espoir, est opprimé par un corps atomisé et séparé de la collectivité et cherche par tous les moyens à fuir la prison qui l’enferme dans des valeurs comme l’individualisme et l’égoïsme. Même si nous nous plaisons à prétendre canaliser ce sens commun dans les réseaux sociaux ou dans le nuage informatique, même si nous nous confortons grâce à certaines pratiques prétendument altruistes, nous sommes isolé-e-s et nos communications se résument à une suite de symboles indifférents et impersonnels. Ce contexte de séparation radicale entre les individus octroie au pouvoir une impunité totale en matière de gouvernance. Comment opposer une résistance si nous nous concevons comme des individus évoluant dans une société pleine d’autres individus et où l’interaction sociale est perçue comme marginale, bizarre, anormale? Nous vivons une crise de la communauté. Alors que les gouvernements s’accaparent toujours plus de pouvoirs et de droits, notre égocentrisme leur reconnait toujours plus d’autorité. Dans les mouvements militants, la résistance se ronge par elle-même. Plutôt que de s’unir et de faire acte de solidarité, tous et toutes cherchent à donner une image à la lutte qui sera celle qu’ils et elles auront désirée. Fondamentalement, la promotion des idées de tous et toutes demeure une tactique avantageuse, elle permet l’inclusion la plus large et la plus universelle. Mais, dans le contexte d’individualisme décrié plus tôt – celui où nos actions se justifient par la primauté du droit individuel sur le reste, et non celui qui cherche à exalter la possibilité humaine, à rendre compte du potentiel créatif qui nous habite et qui nous transforme – la divergence d’opinions apparait comme une confrontation idéologique personnelle suscitant un engagement émotif. La réappropriation de cet esprit de communauté devient nécessaire et urgente. L’unité sera le seul moyen de bâtir un rapport de force suffisant.

C’est dans cette perspective que nous avons décidé de lancer ce projet d’occupation. Nous souhaitons nous donner les moyens de reconquérir l’esprit de communauté. Mises à part les attaques tous azimuts que le gouvernement mène contre les services publics, le projet que nous démarrons, nous le faisons pour nous libérer du joug de l’individualisme et du capitalisme, pour nous affranchir d’un quotidien aliénant. Le projet que nous démarrons, nous le faisons pour protester contre un système qui se fonde sur la domination, l’exploitation, la violence et le meurtre.

Le bouillonnement et l’effervescence multicolores des dernières semaines, formes d’opposition au gouvernement néolibéral qui dirige d’une poigne de fer son Québec, ont donné lieu à une embrasante synchronisation des frénésies révolutionnaires. L’élan est donné pour une lutte prolongée. Maintenons la cadence. Enchaînons les actions. Multiplions les attaques.

Gardons le cap.

Les suites comptables, les litanies de chiffres et les théories économiques toutes dépouillées d’humanité qui justifient les charges du néolibéralisme nous confrontent à un vide avec lequel on ne peut communiquer. Le système est flou et insaisissable. Et plus on cherche à le comprendre, plus il nous perd dans un dédale de procédures. Alors, nous nous arrêtons à ce qui importe, l’existence.

Face cette attaque tentaculaire, nous organiserons une riposte tentaculaire.

D’où la nécessité d’opposer au pouvoir en place une forme de résistance qui saura dénoncer et condamner ce que nous avons démontré plus tôt. En se dotant d’un espace autogéré qui prône l’importance de la collectivité, la participation citoyenne, la vie en communauté et la solidarité, nous illustrons la possibilité d’exister autrement. Nous souhaitons exprimer que nous n’existons pas seulement en tant qu’individu, mais aussi en tant que membre actif-ve d’une collectivité.

Il est plus que temps de prendre notre avenir en main et de cesser de s’esclaffer et de s’aliéner devant le spectacle du capitalisme.

Réapproprions-nous l’espace.
Investissons la scène.
Humanisons les comédiens et les comédiennes. Redessinons le décor.
Brûlons les scénarios.

En s’unissant, nous prendrons ce qui nous revient, nous créerons ce que nous voulons créer, nous détruirons ce qui est à détruire et nous aimerons ce qui est à aimer.

Cette occupation représente d’elle-même un pas dans cette direction. Nous invitons tous ceux et toutes celles qui cherchent à révolutionner l’ordre des choses, du temps et de l’avenir, à déclencher dès l’aube des mouvements d’occupation, à orchestrer un élan contestataire.

À crier, à frapper, à rire ou à pleurer. À agir.


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Galerie photos d’Isabelle Lévesque, photographe

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3 Comments

  1. Je suis réveillée et consciente. Ma tête sait sait depuis longtemps et mon coeur tout autant, mais mon corps engourdi de trop d’attente est englué dans une passivité due en grande partie à l’incertitude du chemin à prendre. Je sais que je ne veux plus de cette place qu’ils m’ont donnée, mais j’ai peine à trouver ma marque, je tourne en rond sur moi-même, peut-être par habitude, peut-être par désespérance….

  2. J’ai la tête qui éclate, j’voudrait seulement dormir, m’étendre sur l’asphalte et me laisser mourir…
    Quel situation désespérante quand on y vois clair!
    bien entendu! je n’en suis pas rendu a me laisser mourir,
    J’ai toujours espoir que d’ici peu on pourra renverser la vapeur,
    et,la façon de le faire est très simple, quand on y pense?
    ça peut se faire sans violence,et sans financement,ou très peu
    suffit que tout l’monde s’y mette
    NE VOTONS PLUS
    On verra bien c’est qui les moutons!

  3. par manque de connexion. Tu trouvera ta marque dans tes rapports avec les autres. C’est ca, la communauté.

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