La brutalité policière au banc des accusés… sans répression

Les fidèles de cette manifestation, souvent surnommée le festival de la matraque, s’attendaient à une soirée chaude. En effet, à l’aube de la vingtième édition de la Journée internationale contre la brutalité policière, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a fait circuler un avertissement, fort alarmiste, à l’effet que la manifestation serait violente. Le ton était donné. L’heure et le lieu (à 20 heures au parc Lafontaine) laissaient également craindre à certaines personnes que le groupe d’intervention anti-émeute du SPVM ne s’en donne à coeur joie dans la noirceur du parc, au travers de laquelle peu de caméras auraient réussi à récolter des preuves utilisables.

C’est un parfum de barbecue (organisé par le Syndicat industriel des travailleuses et travailleurs un peu plus tôt) qui accueillait les gens au point de rassemblement de la manifestation, coin Rachel et Garnier. Une moyenne présence policière était visible: deux minibus et six minifourgonnettes sur la rue Duluth, des petits groupes de patrouilleurs à pied et à vélo le long de la rue Rachel, ainsi que quelques patrouilleurs en voiture. Un peu plus de 300 personnes attendaient le moment de prendre la rue.

Parmi les participantes et participants, des gens habitués, certes, mais aussi plusieurs nouveaux et nouvelles. «Le 15 mars m’a toujours fait un peu peur», admet Annik*, rencontrée par 99%Média. «Mais le flic-infiltré qui avait sorti son fusil contre des manifestants, c’était trop. Il fallait que je vienne cette année.»

Signe que le départ approche, deux porte-parole prennent le porte-voix. 1166 personnes furent tuées par la police en Amérique du Nord en 2015, s’indigne la militante. Faisant concurrence au bruit de l’hélicoptère de la Sûreté du Québec, qui quittera le ciel peu après le départ, la jeune femme liste maintes dérives du système capitaliste qui ont mené à la mort de gens par les troupes policières, ajoutant que malgré les budgets publics d’austérité, la part de la police ne diminue jamais. «L’État policier est réel et nous entoure», clâme-t-elle en évoquant les exemples des femmes autochtones de Val d’Or ou du jeune Fredy Villanueva. «De Montréal jusqu’en Grèce, fuck the police!»

Révolution… tranquille

Puis les chaussures foulèrent enfin l’asphalte. La manifestation se mit en branle. Un haut niveau de stress se trahissait dans la vitesse de marche des protestataires. Plusieurs appels à rester groupés se feront d’ailleurs entendre.

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Photo: Isabelle Lévesque

Le long de la rue Rachel, les forces de l’ordre s’étaient déployées de façon à empêcher les manifestantes et manifestants de tourner vers le nord, un contrôle qui ne sera jamais défié et qui cessera dès le premier virage vers le sud. Le SPVM s’en tiendra d’ailleurs ensuite à précéder et suivre le groupe à vélo, à cheval et en voiture. Même la brigade urbaine, cette unité semblable à l’anti-émeute qu’on voit souvent suivre les groupes jugés plus radicaux en marchant à côté sur le trottoir, ne fut pas déployée hier. Un nuage de fumée apparu brusquement dans la ruelle derrière un restaurant face au parc fit craindre le lancer d’un premier fumigène, mais ce n’était que la vapeur de cuisine du restaurant. D’importantes concentrations de troupes policières furent remarquées autour du quartier général du SPVM, mais sans plus. Fait à noter, aucun avis d’illégalité ne semble avoir été exprimé par le SPVM depuis son canon à son LRAD malgré le non-dévoilement du trajet ainsi qu’une portion importante de celui-ci à contresens sur la rue Sainte-Catherine.

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À travers les multiples caméras, que la pluie n’arrêta pas, quelques équipes de presse de masse étaient escortées par des agents de sécurité, parfois vêtus en civil. Énormément de gens n’étaient pas masqués, ce qui évacuait le stéréotype habituel que la population associe à la manifestation du Collectif opposé à la brutalité policière (COBP). Plusieurs représentantes et représentants du Conseil central du Montréal métropolitain de la Confédération des syndicats nationaux (CCMM-CSN) étaient au rendez-vous, dont son premier vice-président Alain Ouimet. Les personnes qui croisaient le chemin de la manifestation ne se montraient d’ailleurs aucunement effrayées par celle-ci, malgré la campagne de peur du SPVM. Seulement une poignée de commerçants verrouillaient leur porte au passage, dont les agents de sécurité de la Place Montréal-Trust qui empêchèrent des clients de sortir, soulevant leur indignation.

Une relative tranquillité caractérisera le groupe durant une bonne partie de la marche. Si beaucoup d’énergie se dégagea lors de la descente de la rue St-Denis vers Ontario ou encore en passant devant le Poste de quartier 20 du SPVM, les slogans furent peu nombreux et peu répétés, si bien qu’un manifestant se démarqua en s’écriant, durant le slogan «On n’a rien volé, nous»: «Ta yeule! Ta yeule! On est des fucking blancs, on a tout volé, fermez vos yeules!» Déplorant le manque de passion des gens qui la suivaient, une manifestante portant la bannière lâcha: «Coudonc, on manifeste ou on se promène?»

Plus la marche s’allongeait, plus sa durée faisait jaser. Certaines personnes se demandaient si le SPVM ne comptait pas sur la fatigue pour rendre la manifestation plus facile à piéger. D’autres, comme Jacques*, avouaient une certaine déception devant le fait que «ça ne pète pas». «Mais je suis conscient que si ça pète, c’est la manif qui va se faire ramasser», reconnut-il.

Manifestation terminée, histoire marquée

Carré Cabot, à côté de la station Atwater: terminus. Peu à peu, les gens réalisent que, pour la première fois en vingt ans, la manifestation du 15 mars avait atteint le point B. Reprenant le porte-voix, Jennifer Bobette avoua ne pas avoir prévu de discours de fin, certaine que la matraque était à nouveau au menu. «Je vais vous avouer que le COBP est un peu sur le cul», s’exclama-t-elle en attirant les sourires du public. «Hey guys, savez-vous c’est quand la dernière fois que le COBP a eu une manifestation contre la brutalité policière sans arrestations?», demanda-t-elle en sous-entendant que c’était une première. Des applaudissements passionnés, des embrassades, même quelques larmes de joie: l’émotion ne se cachait pas, le soulagement et la satisfaction envahissaient la foule heureuse.

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Photo: Isabelle Lévesque

Du côté policier, les seules interventions constatées furent auprès d’une personne sur Sainte-Catherine entre Balmoral et Bleury suite à des commentaires qu’elle aurait émis, interpellation qui fut brève et sans suite, ainsi qu’auprès de deux jeunes surpris à uriner contre un mur une fois la manifestation terminée. Du côté manifestant, quelques cônes, barrières métalliques et poubelles furent renversés ou déplacés, mais dans plusieurs cas remis à leur place par d’autres manifestantes et manifestants. Aucune vitrine ne fut brisée, ce qui a peut-être déjoué quelques titres et textes écrits d’avance chez des médias de masse. Suite à cet inattendu dénouement, autant le porte-parole du SPVM Ian Lafrenière que les protestataire attribuaient cette réussite à un changement de comportement chez l’autre partie.

Un point tournant a-t-il été atteint pour la manifestation montréalaise de la Journée internationale contre la brutalité policière? À la prochaine édition de répondre à cette question, une édition qui se verra accompagnée de toutes nouvelles attentes.

*: noms fictifs, à la demande des personnes rencontrées

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About Pierre-Luc Daoust 23 Articles
Journaliste photo et plume chez 99%Média, photojournaliste chez Faits et Causes et Multijoueur, blogueur de longue date. Passionné par le droit. Une situation à dénoncer ou à présenter? Contactez-moi en toute confidentialité à l'adresse pldaoust@99media.org ou au (514) 667-8008. Clé de chiffrement GPG: 0x4D93D989