Je suis un activiste raté

« Coudonc, où est le gars qui était censé filmer? », me demande Marjo. Je réponds avec un haussement d’épaules que je ne l’ai pas vu. Plus tard, j’apprendrai que mon collègue de 99%Média a dû s’occuper d’un de ses amis qui avait eu un accident. Mais sur le coup, c’est sûr, je pense que c’est de ma faute. Rien de ce que j’ai fait n’a marché. Même pas foutu de remplir un autobus de 50 places. Je devais avoir l’air pathétique au salon du livre anarchiste avec ma pile de tracts que je n’avais pas le courage de distribuer. Il y a des fois où je surmonte ma gêne, mais là, ça n’allait vraiment pas. Je n’ai pas été plus brillant aux événements du FRAPRU. Bon, quand même un peu. Je suis allé vers les gens que je connaissais et j’ai même abordé des militants qui étaient descendus de Québec pour le camp. Étaient-ils là, à la manif? Je ne peux pas le savoir parce que notre autobus, qui est parti un peu juste de Montréal, est arrivé en retard à l’Hôtel Hilton et il faut commencer nos discours sans attendre. Crime que j’ai honte de ne pas arriver avec un bus plein. Dans la gang de Printemps 2015, je n’ai même pas réussi à intéresser une seule personne, malgré le fait que je m’étais tapé tout un après-midi de thérapie collective pour avoir l’occasion parler de la manifestation. Il faut dire que je n’avais aucune chance dans ce groupe-là : je passais après les gens de l’Appel de l’Est, qui étaient bien préparés, eux. Eh oui, les actions ne manquent pas de ce temps-là. En tout et pour tout, je pense que j’ai réussi à convaincre une seule personne, dans une autre rencontre, mais c’est parce qu’elle connaissait déjà une des organisatrices. Je suis pathétique.

Devant les fanions des différents syndicats représentés à la manifestation, l’APTS, le SCFP et la CSQ, je devrais me réjouir de voir autant de monde qui nous attend, mais je ne peux pas m’empêcher de regretter l’absence criante des regroupements d’usagers. Pourquoi n’y a-t-il aucun Comité des usagers? Je ne peux pas les blâmer, car je sais à quel point ils sont isolés des réalités sur le terrain. Après tout, j’ai consacré près de trois ans de bénévolat dans une de ces structures avant qu’elles ne passent au bistouri cette année. Je me rappelle de la colère que j’ai ressentie lorsque j’ai entendu Pierre Blain, le directeur du Regroupement provincial des Comités des usagers s’en prendre aux gestionnaires lors du dernier colloque sur l’avenir du système public de santé. Si le RPCU s’était rallié aux autres acteurs du réseau, le projet de loi 10 n’aurait probablement pas passé. Mais ça, personne ne peut le savoir avec certitude. Dans tous les cas, si aucun représentant d’usagers n’est là aujourd’hui, je ne peux m’en prendre qu’à moi. Ce sont mes prises de contacts à moi qui ont échoué. Encore.

Heureusement qu’il y a les autres pour assurer. Marjo est admirable quand elle prend la parole. Son débit est parfait pour qu’on entende toute les nuances de son discours. Les auditeurs entendent sa douleur et sa détermination et ne peuvent qu’être inspirés. Moi, mon malaise me fait reculer d’un pas et je me trouve en déséquilibre, dans une pose ridicule. Quand je prends le micro, je m’accroche à mon texte et j’y mets trop de colère. Personne ici ne me connaît. De quel droit suis-je là devant eux? Que puis-je faire pour les aider quand ceux qui devraient écouter sont enfermés quelque part dans l’hôtel devant moi? Je finis ma prise de parole et je m’empresse de redonner le micro à Marjo.  Il faut déjà se mettre en marche vers le Parlement. La bannière de Résistance NGP ouvre le cortège et elle pendouille au milieu. Je me précipite pour la tenir et je suis à moitié soulagé d’être complètement caché derrière elle.

Devant le Parlement, Marjo présente les différents intervenants et leur donne la parole. L’APTS a embarqué avec enthousiasme dans les projets Lean, mais présente maintenant son constat d’échec. Amir Khadir, de Québec Solidaire, a la meilleure analyse, mais personne ne l’écoutera, parce qu’il est Amir Khadir, de Québec Solidaire.  La CSQ et le SCFP décrivent des exemples flagrants de dysfonctionnement. Le RIOCM démontre comment cette forme de gestion conduit au « dumping » des responsabilités gouvernementales mais sans les moyens vers des organismes communautaires incapables de dire non. Diane Lamarre, du PQ, s’invite dans la partie et dit quelques mots pour dénoncer le gouvernement, mais ne démontre pas une véritable connaissance du rôle de la gestion Lean dans le plan d’austérité. Finalement, Jaques Benoît, de la Coalition Solidarité Santé, dénonce clairement le processus de privatisation à l’œuvre. Qui l’écoutera? Aucun média n’est là. C’est un échec total de ce côté-là.

La mort dans l’âme, je remonte dans l’autobus pour rentrer à Montréal, incapable de me convaincre que je n’ai pas gâché l’événement à moi tout seul. Nous avons évidemment trop de boîtes-repas pour notre maigre délégation. Quel gaspillage! Nous laisserons les surplus à la Maison du Père.

Je vais passer les sept prochains jours à me morfondre chez moi, incapable de croire que j’ai un impact positif sur ce monde qui va si mal.

 

 

 

 

 

 

 

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Mathématicien. Blogueur. Observateur des mouvements sociaux. courriel : francois . genest @ gmail . com