Des chicons, pas de prison.

Arthur Létourneau-Vachon

C’est sur le parc du Keelbeek, s’étendant sur 18 hectares, qu’un projet de maxi-prison devrait voir le jour. Lancé en 2008, ce projet vise entre autre à alléger le fardeau des autres prisons de Belgique qui sont sur-peuplées. Pourquoi les prisons sont surpeuplées? Peut-être parce que L’état, en se délaissant de son implication sociale de façon idéologique, c’est à dire en s’engageant dans le néo-libéralisme, laisse les lois du marché dicter la marche à suivre. Ludwig Erhard, ministre allemand de  l’économie puis chancelier jusqu’en 1966 disait bien que le marché était le «seul juge démocratique». C’est bien un problème pour la Grèce et le reste des pays occidentaux semblerait-il. Des gens ne connaissant pas la réalité des travailleurs, des étudiants, des immigrants, des enfants, des retraités et des autres strates de la société mais connaissant bien les comptes en banques influent énormément sur la réalité de chacun d’entre nous. Ainsi, la gestion carcérale devient sommaire et les bureaucrates doivent fournir du chiffre pour répondre aux impératifs du marché.

Arthur Létourneau-Vachon
Arthur Létourneau-Vachon

Le résultat est donc simple, on construit plus de prisons. Le dernier endroit vert de ce type de Bruxelles, le Keelbeek, où des tonnes de fruits et légumes sont cultivés par les habitants des alentours depuis des décennies, sera occupée par l’une d’entre elles. La dite prison devrait accueillir 1190 détenus. Et puisqu’il s’agit d’un projet de partenariat privé/publique, la part de contribution des citoyens belges est grande. Les coûts sont de  300.000.000 € pour la construction et ce sont 60 millions par an, durant 25 ans qui devront être déboursé par l’état pour l’entretien.

Le taux de criminalité n’a pas augmenté [1], par contre, d’après la ligue des droits de l’homme, on note une augmentation des incarcérations préventives, plus de cumuls des peines, ses dernières sont de plus en plus allongées et le recours aux libérations conditionnelles se fait de plus tardif et moindre.[2]

La ZAD du Keelbeck à Arène, Bruxelles, mars 2016 - Arthur Létourneau-Vachon
La ZAD du Keelbeck à Arène, Bruxelles, mars 2016 – Arthur Létourneau-Vachon

Pour empêcher cette construction, la zone est occupée par des résidents du quartier et des militants depuis le 10 août 2014. On y plante des légumes de toutes sortes, beaucoup de chicons et de patates. De plus, il s’y est construit des habitations, une cuisine et un lieu collectif. Des chèvres fournissent du lait, des poules fourniront bientôt des oeufs, les chats tiennent les souris à l’écart et la vie s’organise différemment qu’en métropole ou en village de campagne. La hiérarchie n’y existe pas, la solidarité elle est bien présente.

Les habitations attirent l’attention des résidents du quarter d’Haren qui se promènent dans le parc. C’est donc un lieu où il y a bon nombre de discussions, tant sur la relation que nous avons avec la terre, avec les gens et les animaux autour de soi que sur les questions carcérales, de délit, de santé sociale et de la place du citoyen dans toutes ces questions, sans oublier sur les modes de vie comme le végétarisme et le véganisme. Des gens de plusieurs horizons cohabitent et échangent sur leurs perspectives.

Le lieu est donc aussi un terrain d’expérimentation d’autogestion et d’autonomie, à ne pas confondre avec autarcie. N’y ayant aucun chef ni patron, ce sont les occupants qui décident collectivement comment faire ce qu’il y a à faire. Bref, l’individu se réapproprie petit à petit ces conditions d’existence sur la Zone à Aménagement Différé dans une lucidité qui fait tâche avec la tétanie ayant envahit l’occident au début de l’année 2015 avec les évènements à Charlie Hebdo.

La zone habitée, en plus des visiteurs du quarter, reçoit de temps en temps la visite de policiers et d’ouvriers. Un hélicoptère a même déjà survolée le terrain. Des barrières sont installées par les ouvrier pour délimiter une partie de l’endroit. Sans oublier le passage d’habitants d’autres ZAD dans l’Europe, qui viennent porter main forte, échanger et partager leurs expériences.

De par leur nature contestataire, les ZAD permettent d’exposer des brèches dans nos démocraties, comme à Sivens pointant du doigt les irrégularités entre corporations et gouvernements. Pour répondre à ces problèmes qui pour certain occupants des ZAD, sont inhérents à notre système politique où une classe dirigeante dirige, et la population travail sans réellement prendre part à la prise de décision, les occupants des ZAD essaient des alternatives, organisent des assemblées généraux, applique la démocratie directe, refus la représentativité, etc.

 

  1. Maxime Decoster, « Harren: un terrain de lutte pour créer le débat» Kairos; journal antiproductiviste. novembre / décembre 2014.
  2. Ibid.
About Arthur Létourneau-Vachon 12 Articles
Étudiant en études littéraires. Habitant de Montréal depuis 2013. Tire ses inspirations d'Albert Camus, Jacques Rancière, Philippe Lordon et tant d'autres. Je suis Méganticois opposé à plus de destruction.