Un étudiant en Cour contre les assemblées de grève

Le 28 janvier dernier, les membres de l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED) de l’UQAM renonçaient à tenir une assemblée générale de grève (PDF) dans le cadre de la lutte contre les politiques d’austérité du gouvernement Couillard. Des membres de l’association, insatisfaits, ont toutefois utilisé un mécanisme prévu à leurs statuts et règlements et fait circuler une pétition afin de forcer leur conseil exécutif à convoquer cette assemblée spéciale, qui aura lieu le 24 février. Une deuxième manche qui ne fait pas l’unanimité, au point où David McLauchlan, étudiant en droit, a demandé vendredi au juge André Prévost, de la Cour supérieure, d’empêcher la tenue de l’assemblée.

Au bâton pour M. McLauchlan, Me Eric Oliver réclame une injonction interlocutoire provisoire valide durant 10 jours et visant tant l’AFESPED que l’UQAM. À la première, il exige le retrait de l’avis de convocation de l’assemblée à venir, la convocation d’aucune autre assemblée de grève et l’absence de moyens de perturbation qui nuirait au déroulement des cours et activités. À la seconde, il réclame que les cours soient dispensés, que les moyens soient pris pour que les cours se tiennent, que la population étudiante soit avisée que des sanctions sont prévues pour toute personne qui violerait les règlements de l’UQAM et que ces sanctions soient bel et bien distribuées le cas échéant.

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David McLauchlan, étudiant en droit à l’UQAM, suit son avocat, Me Eric Oliver

Au coeur de son argumentaire, la légalité des assemblées de grève étudiante. S’appuyant sur la jurisprudence créée au printemps 2012, il soutint que la grève étudiante est illégale, ce qui rendrait également illégal selon lui le simple fait pour l’AFESPED de demander à ses membres le mandat d’aller en grève. Il ajouta que l’AFESPED planifiait de se rendre jusque dans les classes pour siffler et ouvrir et fermer l’éclairage à répétition. L’adoption d’un boycott plutôt que d’une grève serait par ailleurs impossible, toujours selon Me Oliver, car l’ordre du jour de l’assemblée parle de grève et est non-modifiable lors des assemblées extraordinaires.

Explorant l’inévitable question des préjudices, l’avocat avança que les assemblées de grève forçaient son client à une perte de temps, un préjudice qu’il qualifia d’irréparable. Il mettra d’ailleurs un certain accent sur cet argument lors de sa réplique en fin d’audience, alors que plus de sept heures se seront écoulées depuis l’arrivée au Palais de justice. Il poursuivit en acusant l’AFESPED d’utiliser ses statuts et règlements pour faire de ces moments de débat une épreuve d’endurance en répétant l’exercice «jour après jour» jusqu’à ce que la grève soit adoptée. «Il faut que ça arrête», lâcha-t-il. Il présenta ensuite l’étudiant comme une victime d’intimidation au sein de l’association, parlant de huées lui étant adressées lors d’assemblées ou encore de commentaires disgracieux sur la page Facebook du regroupement. Sans parler de session annulée, il mentionna qu’une grève poserait un risque pour sa diplomation et son entrée à l’École du Barreau. Enfin, en réplique à la toute fin de l’audience, il proposera un dernier préjudice, soit celui de la pression exercée par le fait de devoir vivre une assemblée de grève la veille d’un examen valant 50% de son cours.

Des arguments qui poussèrent toutefois le juge à exprimer un certain scepticisme. «Je n’ai pas devant moi une démonstration qu’à l’assemblée du 28 janvier il y aurait eu des actes commis par l’association ou que l’association aurait encouragés pour empêcher des gens de s’exprimer lors de cette réunion», dit-il en faisant référence aux preuves offertes par le requérant. En plus de faire remarquer que les commentaires sur la page Facebook sont ceux de membres qui ne sont pas représentants de l’association, le magistrat questionna Me Oliver sur le caractère prématuré ou non de la requête alors que selon lui on n’en est pas au même stade que les perturbations de 2012. Non, selon le jeune avocat, qui expliqua qu’attendre après un vote positif pour obtenir injonction rendrait celle-ci inapplicable face à «une masse de gens non-identifiables à qui c’est impossible de signifier toutes les ordonnances obtenues» et qui rejette les décisions judiciaires en portant une cagoule. Il cita comme exemple de ce rejet Gabriel Nadeau-Dubois lors qu’il disait qu’«on a raison de bloquer l’entrée à nos cégeps, de bloquer l’entrée à nos universités. On a raison de ne pas se laisser impressionner par les injonctions d’un petit con qui a perdu son débat en assemblée générale et qui a des parents assez riches pour se payer un avocat.»

Bref, pour Me Eric Oliver, il faut «enlever le mal à la racine».

Le juriste ne manqua pas d’écorcher au passage la direction de l’UQAM pour ce qu’il perçoit comme de l’inaction. Selon lui, aucun avis ne fut transmis à la population étudiante quant à l’illégalité de la grève lorsque celle-ci survient et aucune intervention des agents et agentes de sécurité ne fut effectuée pour cesser la perturbation des cours.

Pas de preuve, selon l’AFESPED

«On n’est pas ici pour faire un débat politique, on est ici pour décider du droit», lança d’entrée de jeu Me Denis Lavoie, l’avocat de l’association étudiante. Son discours se concentra sur la preuve. Ou, enfin, l’absence de preuve, selon le juriste. Passant en revue les différents éléments de préjudices allégués par le requérant, tels que la répétition des assemblées jour après jour, l’impact d’une grève sur son horaire de cours ou encore l’intimidation vécue, Me Lavoie releva après chaque élément l’absence de preuve à l’appui. Il demanda même comment l’assemblée du 28 janvier dernier a fait pour rejeter la grève si l’association étudiante est aussi terrible qu’elle le fut présentée. «On n’est pas en droit, là. Revenons en droit», réclama Me Lavoie, visiblement agacé par les allégations lancées par son confrère. Insistant sur la bonne foi du conseil exécutif de l’AFESPED dans la préparation de cette seconde assemblée, le juriste rappela que la convocation fut envoyée avec une explication et un appel au décorum.

Reprenant une hésitation exprimée par le juge plus tôt, il affirma qu’on ne peut présumer de ce que sera le fruit de l’assemblée pour prévenir un préjudice encore inexistant. Selon lui, on ne sait même pas si l’assemblée sera ouverte puisque les procédures de l’association prévoient la possibilité de s’y opposer, une occasion pour le requérant de faire valoir l’illégalité de l’assemblée. Me Lavoie s’inscrivit ensuite en faux contre les propos de Me Oliver à l’effet que seule une grève pourrait être débattue. Si l’ordre du jour est fixe, les propositions quant à elles ne le sont pas. Est-ce qu’une grève sera votée? On ne sait pas, enchaîna l’avocat de l’AFESPED. Sa durée? Ses modalités? On ne sait pas. Devant cette absence de préjudice, Me Lavoie rappela également à la Cour que, dans le cadre d’une injonction, le préjudice doit être celui du requérant personnellement et qu’il ne peut plaider pour l’ensemble des membres.

Me Lavoie rejeta également l’idée voulant que la grève étudiante soit illégale, arguant qu’aucune loi ne statuait ainsi. Elle est plutôt sans encadrement législatif, une affirmation avec laquelle le juge se montra d’accord d’un hochement de tête évident. Ce qui ne change rien au débat, selon l’avocat, car même si la grève était illégale, rien n’empêcherait l’association d’en débattre à l’interne: c’est plutôt l’action qui suivra ce débat qui sera illégale si un texte de loi l’empêche. Il refuse d’ailleurs qu’on présume de la suite des événements en se basant sur 2012: «”le passé est garant de l’avenir”, ce n’est pas dans le code de procédure civile!» Revenant sur l’allusion de son confrère à l’usage de cagoules pour violer les injonctions, il s’exclama: «C’est quoi ça??? C’est de la diffamation!»

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Me Denis Lavoie et des membres de l’AFESPED

Une université qui cherche la distance

La troisième intervention fut celle de Me Chantal Chatelain, qui portait le drapeau de l’UQAM. Le mot-clé de son argumentaire, la distance. Me Chatelain a insisté tout au long de sa plaidoirie sur le fait que la grève étudiante est un débat qui n’est pas celui de l’institution et donc que celle-ci ne souhaitait pas s’y immiscer. Selon elle, le fait que l’université reconnaisse les associations étudiantes ne lui fait pas pour autant adhérer à leurs statuts et règlements: leur gestion leur appartient.

Me Chatelain s’est ensuite affairée à tailler en pièces les prétentions de Me Oliver à l’effet qu’une grève ce printemps poserait un risque pour l’admission de David McLauchlan à l’école du Barreau. L’étudiant serait inscrit à temps partiel depuis l’automne 2010 et aurait abandonné des cours neuf fois depuis. Pour le présent trimestre, il aurait débuté avec six cours pour ensuite en abandonner trois. Un des cours restants ne serait d’ailleurs pas affecté par un débrayage car il a lieu à l’extérieur du campus, sous forme de stage. Avec 83 crédits accumulés sur 98, il restera trois cours au plaignant après la présente session. Me Chatelain est donc formelle: aucune démarche d’admission à l’école du Barreau n’aurait pu être entamée cette session, il n’y a aucunement péril en la demeure.

La juriste de l’université n’a d’ailleurs pas manqué de répondre aux critiques de son confrère. Selon elle, l’UQAM maintient le cap en cas de grève étudiante. Le corps professoral doit se présenter au travail comme convenu. Mais devant l’impossibilité de donner un cours, elle explique que le personnel doit éviter les situations conflictuelles. L’UQAM a des obligations envers la sécurité de tous et toutes, insiste-t-elle. Quant aux menaces de sanctions exigées par le demandeur, Me Chatelain réplique en demandant de quelles sanctions il souhaite parler et comment définir à cette fin ce qu’est une perturbation. Elle qualifie cette demande de trop vague et non exécutable.

Le juge Prévost compte rendre sa décision demain matin à 9h.

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