Guy Turcotte: retour en détention réclamé

Le juge André Vincent a-t-il commis une bourde en accordant la liberté à Guy Turcotte d’ici au verdict de son procès? Me René Verret, procureur pour le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), croit que oui et s’est affairé à convaincre les juges France Thibault, Guy Gagnon, et Martin Vauclair de son point de vue hier après-midi en Cour d’appel.

Aux yeux de Me Verret, il ne fait aucun doute que le jugement de première instance comporte des erreurs en droit importantes. Le juge Vincent considérait dans sa décision que M. Turcotte ne rencontrait aucun des trois critères pouvant mener à sa détention pré-verdict, ces critères étant la représentation d’un danger pour le public ou pour sa propre personne, le risque de ne pas se présenter à son procès ou une dégradation de la confiance du public envers le système judiciaire en cas de libération. Seul ce dernier critère est remis en question par le procureur.

De la personne raisonnable bien informée

Le juge Vincent met la barre trop haute pour déterminer ce qu’est un public raisonnable bien informé, selon le procureur qui cumule plus de 29 ans d’expérience derrière la toge. Si, pour être qualifié ainsi, il faut connaître la Charte [canadienne des droits et libertés], la Loi et les enseignements de la Cour suprême, on se retrouve à restreindre la définition de ce public aux juristes. On ne peut s’attendre à de telles connaissances de la part du grand public, celui-là même qui doit avoir confiance dans l’administration de la justice, martèle Me Verret.

Peut-on comparer le public à un jury, lui demanda la juge Thibault? «Moi je pense que oui», lui répondit sans hésiter le représentant du DPCP. Alors qu’il explique que ce sont à ces gens qu’on demande régulièrement de rendre un verdict lors des procès devant jury, la magistrate l’interrompit pour lui rappeler que les jurys sont instruits en droit. «À la fin, ils sont instruits en droit!», de rétorquer Me Verret, soulignant qu’au moment de former un jury, les gens convoqués n’ont pas nécessairement une connaissance des notions juridiques.

La personne raisonnable se trouve… dans le courrier des lecteurs?

La preuve présentée aux trois juges consistait principalement en une revue de presse confectionnée par le DPCP suite à la décision du juge André Vincent en septembre. Admettant que la revue de presse mettait aussi en lumière des réactions inacceptables, Me Verret attira l’attention des juges vers trois articles.

Le premier, une lettre envoyée au journal Métro par Francine Laplante. Ensuite, le commentaire de l’avocat Jean-Claude Hébert dans un texte de La Presse, où il dit, parlant du risque que la remise en liberté de M. Turcotte mine la confiance du public, que «ce n’est pas évident de déterminer et on ne peut simplifier en disant que le public est l’«opinion publique». C’est un standard qui n’est pas facile à cerner». La juge Thibault fera toutefois ensuite patiner l’avocat en lisant le paragraphe suivant, où Me Hébert dit que «le jugement est étoffé et que le juge Vincent est un homme d’expérience respecté. “Je serais fort étonné que la Cour d’appel veuille réviser son jugement […].”» Ce à quoi Me Verret répondra que Me Hébert a droit à son opinion, comme tous et toutes. Finalement, le procureur enchaine avec une chronique de Patrick Lagacé, qu’il érige en exemple de personne raisonnable bien informée. M. Lagacé posait notamment la question: «Si l’article 515, paragraphe 10 alinéa c) ne s’applique pas au cas de Guy Turcotte, il s’applique à qui?».

Sceptique devant cette revue de presse, le juge Gagnon fit remarquer à Me Verret qu’elle ne montrait pas un public qui concède au juge Vincent son point de vue sur les deux premiers critères et qu’elle soutenait un peu mal la thèse défendue par le DPCP. Le juge Auclair renchérit en demandant si le DPCP devrait se présenter aux enquêtes sur remise en liberté avec des sondages en main, ce à quoi Me Verret a répondu par la négative. Le juge Gagnon ajouta enfin que l’on ne connait pas vraiment la mesure d’un jugement qui inspire confiance au public car sa réaction n’est pas palpée lors des causes non médiatisées.

Me Pierre Poupart, qui défend l’accusé avec son frère Guy, débuta la défense de son client en citant différents extraits de jugements où l’on ne s’inquiétait pas d’une réaction du public. À ses yeux, cette sagesse des tribunaux, c’est le meilleur rempart contre la passion du public, contre les réactions déraisonnables. Il refuse que soit basée la décision judiciaire sur la réaction «d’une partie de [la] société qui n’a pas fait ce qu’il fallait pour s’informer et qui a réagi avec émotivité.» Ce battage médiatique n’a pas raison, poursuit-il: les principes du droit ont raison.

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Exit la présomption d’innocence avec la non-responsabilité?

Le représentant du DPCP s’élança ensuite sur un autre aspect en affirmant que la présomption d’innocence ne devrait pas être considérée pour le choix de libérer ou non le suspect. Selon lui, la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux n’est pas un verdict d’innocence car elle mène à une détention malgré tout. Sans verdict d’innocence, pas de présomption d’innocence, surtout si le geste reproché est avoué. Les juges furent toutefois fermes et répliquèrent que la Cour suprême dit le contraire. En défense, Me Poupart se contenta de rappeler cette jurisprudence et de dire que le débat n’était absolument pas sur ce point.

Me Verret s’avança également sur le terrain des moyens de défense. Faisant référence à l’intoxication de l’accusé qui ne pourrait plus être considérée comme involontaire, le fait que, selon lui, le fardeau sera plus lourd cette fois pour plaider la non-responsabilité criminelle aurait dû être considéré par le juge Vincent. Une théorie qu’a ardemment réfuté Me Poupart, rappelant une évaluation psychiatrique qui établissait que M. Turcotte était déjà en crise lorsqu’il a bu le lave-vitre et soulignant que même la Cour d’appel a ouvert la porte à ce que le geste suicidaire, soit cette intoxication, ne soit pas volontaire. Aucune défense n’est fermée, martela-t-il.

Questionné par le juge Vauclair sur les propos de son adversaire voulant que les conséquences qui suivront le procès, peu importe le verdict, amènent logiquement à ne pas libérer l’ex-médecin, Me Poupart affirme que c’est une logique contraire à la Charte et aux décisions de la Cour d’appel. Il est essentiel selon lui que Guy Turcotte n’ait pas de traitement de défaveur par rapport aux autres personnes similairement accusées. «M. Turcotte a droit aux mêmes protections, aux mêmes droits fondamentaux, que les êtres humains qui sont les sujets de justice.»

Les trois juges ont pris la cause en délibéré et ont affirmé vouloir rendre une décision dans les plus brefs délais, sans toutefois en préciser la longueur.

Une manifestation plutôt menue à l’extérieur

Line Lafleur, une résidente de Saint-Jérôme, a lancé sur les réseaux sociaux un appel à manifester durant l’audience. Un appel qui aura toutefois eu un résultat bien maigre: au plus une quinzaine de personnes se trouvaient devant l’édifice. Questionnée par 99%Média, Mme Lafleur, qui organisait sa seconde manifestation en lien avec cette cause, s’avoue déçue. Mais elle croit que des gens venus la soutenir ont choisi en arrivant d’aller plutôt assister à l’audience. «Ça a l’air qu’il y avait beaucoup de monde à l’intérieur», dit-elle, n’hésitant pas à dire que si elle n’était pas en charge de la manifestation, elle serait probablement entrée elle aussi. Denis Deschênes, un autre manifestant rencontré sur place, attribue quant à lui cette faible participation à un manque d’attachement entre le public et cette cause. «Les gens se déplacent davantage quand ils sentent que ça les touche personnellement», selon lui.

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1 Comment

  1. La question que devra trancher la Cour d’Appel du Québec est la suivante: ” Est-ce que la remise en liberté de l’accusé Guy Turcotte va déconsidérer l’administration de la justice aux yeux du public ? Est-ce que l’administration de la Belle Province par les libéraux au cours des dernières années et ce malgré la corruption de ce régime et les malversations en tout genre et sans compter le recours à la violence à l’endroit des minorités d’opinions ont-elles nuit à leur réelection ? Voir même déconsidérer l’administration de la justice aux yeux du public ? La jurisprudence en semblable matière en a établit les principes et les critères principaux, maintenant si Me Verret, le représentant du DPCP, entend utiliser les journeaux à potins pour valoir jurisprudence, alors pourquoi ne pas rétablir le gibet de potence et la présence du public obligatoire lors de la pendaison… Le sénateur Bienvenue pourrait agir à titre de bourreau avec dédomagement bien sûr pour sa peine…

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