Suspensions politiques à Rosemont: déni et propagande

Retour sur la chronologie des événements ayant mené à ces suspensions, vu de l’intérieur du Collège de Rosemont.

11182706_851203121626158_993065395401719096_oAction de solidarité avec les professeur.es suspendu.es du Collège de Rosemont, jeudi 7 avril. Toutes les photos de cet article: Isabelle Lévesque

Vers la grève sociale
Le 22 avril, emboîtant le pas à de nombreux autres établissements, les enseignant.es du Collège de Rosemont se dotent en assemblée générale d’un mandat de grève d’une journée le 1er mai, en toute conscience que ce moyen de pression ne serait sans doute pas jugé conforme aux dispositions prévues par le Code du travail. Le vote passe à hauteur de 84%, 97 pour, 17 contre et une abstention. Le mouvement se répand et environ 10 000 enseignant.es de plus d’une trentaine de cégeps seront en grève le 1er mai pour protester contre les politiques d’austérité du gouvernement Couillard. Pour les quatre dernières années, les coupures dans le réseau collégial s’élèvent à 109 millions de dollars.

«La grève est annulée»
À la veille de la grève, la Commission des relations du travail (CRT) émet une ordonnance aux directions, aux syndicats ainsi qu’à leurs membres de «donner leur prestation normale de travail» puisque la grève contrevient au Code du travail, mais elle refuse toutefois de porter l’affaire en cour supérieure.

S’ensuit une grande confusion dans les communications entre les centrales syndicales (la FNEEQ-CSN pour la majorité des cégeps), les exécutifs locaux et leurs membres. La situation diffère alors d’un cégep à l’autre: les étudiant.es de certains cégep sont en grève et d’autres non; les enseignant.es de certains cégeps organisent des assemblées générales extraordinaires pour tenir un nouveau vote, d’autres non; certains exécutifs recommandent la poursuite de la grève comme prévu, d’autres non; certains cégeps préparent un piquetage ferme, alors que d’autres prévoient un piquetage symbolique.

À Rosemont, la direction du Collège envoie en fin d’après-midi un courriel avisant toute la communauté que les cours se tiendraient normalement le lendemain. Les affiches «Vers la grève sociale le 1er mai» qui ornaient les murs sont discrètement retirées. Quelques heures plus tard, le Syndicat des professeures et des professeurs du Collège de Rosemont (SPCR) annonce par courriel à ses membres que la grève du 1er mai  est «annulée». Aucune assemblée extraordinaire n’est prévue et les membres ne sont pas consulté.es.

Solidaires malgré tout
Journée de mobilisation intensive en ce 1er mai, les actions de blocage et d’occupation vont bon train partout au Québec. Des centaines d’organismes communautaires font la grève. Des manifestant.es de tous les milieux envahissent les rues. Dans les cégeps, au final, les enseignant.es d’environ une dizaine de collèges réussissent à faire lever les cours.

Rosemont en fait partie. Malgré le message de leur syndicat, des dizaines d’enseignant.es arrivent au collège en matinée et ne peuvent se résoudre à aller à l’encontre de leur mandat de grève voté à forte majorité en assemblée générale. Entre 50 et 75 enseignant.es participent au piquetage devant les douze portes de l’établissement. Ils et elles sont aidé.es de dizaines d’étudiant.es qui, bien que n’étant pas en grève, se montrent solidaires de leurs profs. Le tout se passe dans le calme et les employé.es et les étudiant.es sont généralement compréhensif.ives. La direction finit par lever les cours.

La «punition»
Le 4 mai, en fin de journée et en pleine fin de session, six enseignant.es reçoivent un courriel des ressources humaines du Collège les avisant qu’ils et elles sont suspendu.es, à des fins d’enquête, pour avoir bloqué les portes. Comme des criminel.les potentiel.les qui auraient des conditions de libération, l’accès au campus du Collège leur est interdit. L’éventail des sanctions est ouvert, allant de la lettre au dossier jusqu’au renvoi définitif.

Autour des «six», la nervosité est palpable. Les suspensions ont créé un climat de peur et de silence chez tous ceux et celles qui ont participé au piquetage, qui se demandent dès lors si une simple prise de parole pourrait leur valoir des sanctions. La direction a depuis affirmé qu’il n’y aurait pas d’autres suspensions.

Les instances disciplinaires ont jusqu’au 15 mai prochain pour faire connaître la nature des sanctions qui s’abattront sur les six personnes visées.

Une question qui dérange
On se demande d’emblée: pourquoi avoir ciblé ces six enseignant.es en particulier alors que des dizaines d’autres ont aussi participé au piquetage? La question est dérangeante, car on peut supposer deux réponses possibles. Soit ces enseignant.es ont été ciblé.es et alors la direction du Collège pratique quelque chose qui s’apparente beaucoup à du profilage politique. Soit ces enseignant.es ont été choisi.es arbitrairement pour servir d’exemple et décourager leurs collègues, de Rosemont ou d’ailleurs, de faire respecter les mandats de grève. Ou serait-ce un heureux mélange des deux? Bien sûr, il aurait été impossible pour la direction de suspendre cinquante profs en fin de session: une demi-douzaine lui a semblé suffisante.

Dans tous les cas, on semble vouloir mettre de l’avant la «théorie des six illuminé.es» qui, envers et contre tous, auraient miraculeusement réussi à bloquer les douze portes du Collège à eux et elles seul.es. Or, cette théorie fumeuse sur laquelle s’appuient les décisions de la direction nie la solidarité du corps professoral de Rosemont qui a réussi à faire appliquer un mandat de grève tout à fait légitime et démocratique. Ces suspensions sont donc aussi négation du droit de grève tout court puisqu’on voudrait réduire cette levée de cours à une série «d’initiatives individuelles»(1).

En parfaite continuité avec l’administration précédente qui, en 2012, avait fait appel au SPVM sur son campus pour faire respecter à coups de matraque l’injonction contre la grève étudiante, la direction actuelle du Collège de Rosemont choisit encore une fois la voie de la répression politique.

Pétition «Non aux suspensions au Collège de Rosemont»:
https://secure.avaaz.org/fr/petition/Direction_du_College_de_Rosemont_La_levee_des_sanctions_et_la_reintegration_immediate_des_six_professeurs/?nLxDrjb

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(1) Comme le rapporte Radio-Canada, c’est ainsi que la direction de Rosemont décrit l’action des enseignant.es :
«La direction ce [sic.] Rosemont a rappelé mardi que le Syndicat des professeures et des professeurs du Collège de Rosemont (SPPCR) s’était engagé à respecter l’ordonnance. Elle décrit d’ailleurs le geste des enseignants suspendus comme une série d’ « initiatives individuelles ». http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/05/05/003-suspension-manif-enseignants-college-rosemont.shtml

1 Comment

  1. Lettre ouverte au directeur général du cegep Rosemont

    dirgen@crosemont.qc.ca

    Le 6 mai 2015

    M. Stéphane Godbout
Directeur général
Cegep Rosemont
    Monsieur Godbout,
    J’ai appris dans les journaux que votre collège avait procédé à la suspension de six professeur-e-s.
    J’estime que c’est une démarche qui ne se justifie d’aucune façon, quel que soit l’angle d’approche.
    Sur le fond, vous comprendrez que les professeur-e-s protestent contre des coupes de 41 millions de dollars au niveau collégial. Vous devriez être à leur côté pour contester ces compressions au lieu d e leur imposer des suspensions.
    Ensuite, les professeur-e-s ont décidé comme des centaines d’autres organisations au Québec de faire une grève sociale. À ma connaissance, votre collège est le seul endroit où des personnes ont été suspendues pour avoir posé ce geste.
    Ensuite, la demande d’injonction demandée par le gouvernement à la
    dernière minute servait à casser le mouvement d’opposition à sa politique d’austérité. Cette démarche s’inscrit dans un contexte plus large où la contestation et la dissidence 
sont de plus en plus réprimées.
    Une société qui ne tolère plus la contestation et la dissidence est une société autoritaire.
    Les directions collégiales et universitaires ont beaucoup à se faire pardonner depuis qu’elles ont appuyé la loi 12 (le projet de loi 78 ) du gouvernement Charest. C’était de l’avis de tous (ligue des droits et libertés, commission des droits de la personne, 
Amnistie internationale, Nations Unies, juristes québécois, barreau du Québec, etc) une loi qui brimait le droit à la liberté d’expression, de manifestation et d’association, pour ne pas mentionner en plus l’atteinte à la liberté académique des 
professeur-e-s.
    Les directions collégiales et universitaires se sont quand même rangées aux côtés du gouvernement Charest dans cette aventure périlleuse.
Cette posture idéologique trahit le fossé qui ne cesse de se creuser entre, d’une part, les directions collégiales et universitaires et, d’autre part, les
forces créatrices des collèges et universités, à savoir les professeur-e-s, les étudiant-e-s et les chargé-e-s de cours.
    Or, cette distance heurte de plein fouet l’idée même de collégialité qui devrait être au coeur du fonctionnement des collèges et des universités.
Les directions universitaires et collégiales ne sont pas des patronats, mais des administrations au service des forces créatrices qui oeuvrent au sein de ces établissements.
    La seule chose honorable à faire dans les circonstances est de mettre fin immédiatement aux suspensions de ces six professeur-e-s.
    Sincèrement,
    Michel Seymour, prof de philo à l’U de M

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