Série-Choc: Les droits humains fondamentaux au Québec, et si on en parlait?

Pour cet interview, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Mme Béatrice Vaugrante, directrice d’Amnistie Internationale Canada-Francophone. Celle-ci a accepté de nous recevoir et discuter avec nous de ses inquiétudes face à la question des droits humains au Québec et du travail qui peut être fait. Comme le Québec est une province canadienne, nous avons aussi abordé des aspects qui touche le Canada lui-même car il a ou peut avoir des impacts au Québec.

Béatrice Vaugrante:

Actuellement, nous voyons une régression au niveau des droits humains fondamentaux. Bon nombre de personnes sont prêtes à accepter que l’on tasse les libertés ou qu’on empiète sur les droits et ce, au nom de la sécurité. C’est un faux choix qui nous est offert par les gouvernements. Il y a moyen et il y a surtout nécessité de répondre aux enjeux de sécurité sans brimer des droits. Quand on brime des droits, de cette manière, c’est une pente dangereuse.

 

Lors du débat sur la Charte des valeurs, Amnistie a pris position contre celle-ci, car elle ne répondait pas aux normes de droits humains fondamentaux touchant la liberté d’expression de la religion et la discrimination. Il faut dire qu’il y a actuellement une remise en question des pratiques et des principes envers la protection des droits des immigrants et des réfugiés. Pourtant, même si nous rendons plus difficile l’obtention d’un statut de réfugié, par exemple, quelqu’un qui doit fuir un conflit ou la misère, et protéger sa famille, va prendre tous les moyens pour le faire, quitte à se mettre en danger. C’est ce qu’on voit en Europe, en Méditerranée, par exemple.

 

Les travailleurs migrants, par exemple, ne sont pas juste de la main d’œuvre  mais ils sont aussi des personnes avec des droits. Ces droits incluent, notamment celui de se syndiquer.

 

Décider d’immigrer est souvent parce que c’est la seule solution qui s’offre. Et si l’on veut que ces personnes  restent chez elles, alors pourquoi on ne les aide pas à le faire?  Donnons leurs les moyens, notamment en soutenant des programmes de développement international fondé sur les droits humains. Le Canada a une tendance à favoriser des projets  selon des intérêts économiques, par exemple, alors que cela devrait être arrimé aux droits humains. On a d’ailleurs une expertise au Québec en ce qui concerne l’aide internationale qui pourrait servir.

 

Il faut dénoncer l’islamophobie ambiante. Il y a  des propos  qui se disent, depuis la Charte des valeurs, notamment de la part de responsables politiques, que rarement auparavant, ils ne se seraient permis de dire. On l’a encore vu récemment avec la CAQ, sur les immigrants et leur nécessité d’adhérer à nos valeurs. Même entre Québécois de souche nous pouvons très bien ne pas avoir les mêmes valeurs et ce, même si nous sommes de la même culture! Les propos de M. Harper sur les mosquées sont inacceptables aussi.

 

La liberté d’expression inclut aussi la liberté de manifester pacifiquement et on assiste à de plus en plus de limitations en ce qui concerne le droit à la liberté de manifester (P-6, par exemple). Le droit à la manifestation pacifique est un droit, un droit qui inclut le droit de déranger certes. La liberté d’expression n’est pas à criminaliser même si les propos peuvent choquer, le droit international est d’ailleurs précis quand il s’agit de limiter la liberté d’expression. Avec P-6, on donne pourtant un pouvoir discrétionnaire aux policiers de juger si la manifestation est légale ou non, ce qui n’est pas acceptable. On assiste maintenant à des discours à l’effet qu’il faut ”réglementer l’expression”, voire même la criminaliser et cela est choquant. Ce n’est pas en faisant taire les gens avec qui l’on est en désaccord que les choses vont s’améliorer, au contraire. Dans un État démocratique, il y a une nécessité d’avoir des débats.

 

C-51, qui s’apprête à être voté, fait très peur. Il y aura des impacts au Québec, que ce soit des pouvoirs beaucoup plus forts de la part du SRCS, des possibilités de détention sans inculper la personne, sans parler que l’on permettra désormais à des juges d’aller à l’encontre même de la Charte Canadienne des droits et des libertés. Tout ceci est extrêmement grave. Il y a un climat de peur, qui est présent, mais nous n’avons pas le leadership politique capable de dire ”oui  le terrorisme existe, mais nous n’irons pas à l’encontre de nos propres droits”. Cela détruit le système sur lequel repose notre société.

 

On voit aussi une régression en ce qui concerne les droits pour les syndicalistes, les environnementalistes et les peuples autochtones. La Déclaration des Nations-Unies sur les Droits des Peuples Autochtones stipule que ces derniers ont le droit d’être consultés dans les projets qui sont développés sur leurs territoires. On assiste à des projets de développement économiques sur plusieurs de leurs territoires et avec C-51, les arrestations de leaders qui dérangent sont possibles.

 

L’ampleur du phénomène des femmes autochtones disparues et assassinées au Québec est peu documenté mais ça existe. La réponse du gouvernement canadien sur les meurtres des femmes autochtones ou leurs disparitions est honteuse. Et du côté québécois, le gouvernement  a organisé une consultation pour un plan d’action sur la lutte au racisme envers les Autochtones, l’an dernier, mais ce fut sans suite. On constate aussi qu’il y a une discrimination systémique. Les enfants autochtones, actuellement, reçoivent 22% de moins de financement que les autres enfants pour le développement de services pour eux. Le résultat est que dans certaines régions du Québec, plusieurs femmes autochtones qui sont victimes de violence  par exemple, ne peuvent se permettre de parler et de dire ce qu’elles vivent car sinon, leur enfant leur sera retiré. C’est la seule solution qu’on a à offrir à ces personnes! La maison d’hébergement pour les recevoir et les aider est parfois située à plus de 100 kilomètres du lieu de résidence.

 

Les mesures d’austérité actuelles peuvent également avoir des répercussions sur les femmes. Avoir une analyse différentielle selon les genres est fondamental, puisqu’on peut voir les conséquences sur le genre de certaines politiques que décide le gouvernement. Si le gouvernement ne le fait pas, s’il ne sent pas préoccupé par cette question de l’égalité hommes-femmes, comment les entreprises, par exemple, peuvent être encouragées de le faire? Les mesures d’austérité qui sont envisagées peuvent avoir aussi d’importantes  répercussions sur les personnes plus vulnérables, par exemple les personnes plus pauvres ou encore les personnes handicapées, sur leur droits sociaux et économiques!

 

On a vu, les derniers jours, une commission parlementaire sur les agressions sexuelles. Il faut que la lutte aux agressions sexuelles soit reconnue comme un enjeu de société. On a lancé récemment une campagne ”Mon corps, mes droits” dont le but est de défendre les droits sexuels et reproductifs des femmes. Cela concerne aussi le Québec. Il n’y a pas de cours d’éducation sexuelle qui se donne. Les femmes, et les hommes pourtant, doivent connaître leurs droits au niveau de la santé sexuelle et de la reproduction.pour favoriser  des rapports égalitaires entre les hommes et les femmes sur ces questions. J’espère que cette commission parlementaire va donner des résultats. On a vu des campagnes être lancées contre le tabagisme, ou encore pour le port de la ceinture de sécurité; quand on parle de violence sexuelle, il faut une stratégie long terme de changement fondamental de ces comportements, et de la société qui tolère ce type de violence. Ottawa aussi a aussi lancé des projets pour la santé maternelle, sans qu’on ne mettre l’emphase sur les droits des femmes, notamment ceux de la santé sexuelle et reproductive, incluant les questions touchant l’avortement.

 

Dans les missions commerciales qui se font, à partir du Québec, soyons innovants. On va arriver à une étape ou les États devront prendre des responsablilités pour faire respecter les droits humains fondamentaux, lors d’ententes commerciales et par les entreprises. Cela peut encore prendre 10 ans, pour se concrétiser, mais ultimement, cela arrivera. Alors soyons prêts, débutons. Le développement économique se fait parfois au détriment de bien des choses : droits humains et environnementaux, notamment. Il n’y a pas toujours d’études d’impacts sur les populations locales qui se font, pas plus que sur les conditions dans lesquelles doivent travailler les travailleurs-travailleuses. Il faut questionner nos pratiques.

 

 

 

Un très grand merci à Mme Vaugrante!

About Marie-Andrée Turcotte 29 Articles
Journaliste indépendante

1 Comment

  1. la santé sexuelle .Un bébé ce n’est pas une maladie, Ce n’est pas un droit fondamental l’avortement. Tuer un bébé viable ou pas c’est tuer.

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